igure de la littérature américaine, Wright Morris (1910-1998) sillonne les grandes plaines du Midwest durant les années 1930.
Le monde rural et ses figures allégoriques inspirent la plupart de ses romans : ses personnages du grand Ouest américain, leurs lieux de vie, leur quotidien vont s'incarner, à partir de 1939, dans des oeuvres dites « photos-textes ». Attribuant une valeur égale entre image et texte, Morris imagine des ouvrages mêlant littérature et photographie, l'une dialoguant avec l'autre dans une même puissance évocatrice.
Durant une quinzaine d'années, il photographie la vie simple des Américains empruntant au réalisme des auteurs et photographes de la Grande Dépression, tels John Steinbeck ou encore Walker Evans : « J'ai vu le paysage américain encombré de ruines que je voulais sauver », précisant vouloir « enregistrer cette histoire avant qu'elle ne disparaisse ». Ses images, quasiment toujours vides de toute présence humaine, montrent des objets récurrents du quotidien. Des vêtements sans corps, des lits et des chaises vides, des couverts déposés sur une table : le temps est suspendu, l'image énigmatique. L'esprit des lieux est ici matérialisé par une infinité de détails ; Morris réussit à « capturer l'essence du visible ».
Ses photographies sont des « morceaux de temps » : roues de charrettes à l'arrêt, enclos vides, façades de grange, évier de cuisine, fin de repas sur la table d'une salle à manger vide, vaisseliers, outils et objets du monde agricole... Wright Morris saisit un quotidien intime, le presque rien de vies simples du Midwest américain. Opérant un travail de mémoire, ses images oscillent entre réalisme et fiction, entre poétique et mystère d'un temps suspendu.
« Une récente exposition, à la fondation Henri Cartier-Bresson à Paris, a permis de découvrir la profondeur et la finesse de l’œuvre photographique de Wright Morris (1910-1998). [...] Finement éclairé par les analyses et les témoignages de Stephen Arkin, Agnès Sire et Anne Bertrand, «L’essence du visible» a quelque chose de «proustien», pour le fracas du non-dit qui l’inonde et la luxuriance des récits qu’il contient. C’est surtout un livre de photographie admirable, sobre de mise en page et d’une qualité de tirage inouïe. » Berthold Bies, Le Télégramme